J.O. 289 du 13 décembre 2005
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Décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005
NOR : CSCL0508906S
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues par l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, le 29 novembre 2005, par M. Jean-Pierre Bel, Mmes Jacqueline Alquier, Michèle André, MM. Bernard Angels, David Assouline, Bertrand Auban, Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jean-Marie Bockel, Yannick Bodin, Didier Boulaud, Mmes Yolande Boyer, Nicole Bricq, Monique Cerisier-ben Guigua, MM. Pierre-Yves Colombat, Roland Courteau, Yves Dauge, Jean-Pierre Demerliat, Mme Christiane Demontès, MM. Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Charles Gautier, Jacques Gillot, Jean-Pierre Godefroy, Claude Haut, Mmes Odette Herviaux, Bariza Khiari, MM. Yves Krattinger, Serge Lagauche, André Lejeune, Roger Madec, Philippe Madrelle, François Marc, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Marc Pastor, Jean-Claude Peyronnet, Jean-François Picheral, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Mme Gisèle Printz, MM. Daniel Raoul, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Roland Ries, Gérard Roujas, André Rouvière, Mme Patricia Schillinger, MM. Michel Sergent, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Tasca, MM. Michel Teston, Jean-Marc Todeschini, Pierre-Yvon Trémel, André Vantomme, André Vézinhet et Richard Yung, sénateurs ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 2 décembre 2005 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales ; qu'ils contestent notamment la conformité à la Constitution du dernier alinéa de son article 7 qui modifie les conditions de délivrance d'un mandat de dépôt à l'audience du tribunal correctionnel ; qu'ils critiquent également son article 41 qui, combiné avec les articles 13 et 42, régit l'application dans le temps du placement sous surveillance électronique mobile ;
Sur le mandat de dépôt à l'audience :
2. Considérant que l'article 7 de la loi déférée insère dans le code de procédure pénale un article 465-1 relatif aux conditions de délivrance d'un mandat de dépôt par le tribunal correctionnel à l'encontre de prévenus en état de récidive légale ; qu'aux termes du second alinéa de ce nouvel article 465-1 : « S'il s'agit d'une récidive légale au sens des articles 132-16-1 et 132-16-4 du code pénal, le tribunal délivre mandat de dépôt à l'audience, quel que soit le quantum de la peine prononcée, sauf s'il en décide autrement par une décision spécialement motivée » ; que l'article 132-16-1 du code pénal dispose que : « Les délits d'agressions sexuelles et d'atteintes sexuelles sont considérés, au regard de la récidive, comme une même infraction » ; que l'article 132-16-4, résultant de l'article 1er de la loi déférée, prévoit que : « Les délits de violences volontaires aux personnes ainsi que tout délit commis avec la circonstance aggravante de violences, sont considérés, au regard de la récidive, comme une même infraction » ;
3. Considérant que, selon les requérants, le dernier alinéa de l'article 7, « en rendant désormais obligatoire le mandat de dépôt à l'audience » dans certaines circonstances et « en faisant de la liberté individuelle l'exception et de la détention la règle », méconnaît la présomption d'innocence et porte une atteinte d'une excessive rigueur à la liberté individuelle ; qu'ils lui reprochent également de porter atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ; que l'article 66 de la Constitution dispose que : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ;
5. Considérant, en premier lieu, que la mesure prévue par les dispositions contestées n'est pas incompatible avec le principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la Déclaration de 1789, dès lors qu'elle s'attache à une peine d'emprisonnement ferme prononcée par la juridiction répressive après que celle-ci a décidé que la culpabilité du prévenu est légalement établie ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que la mise à exécution immédiate de la peine d'emprisonnement prononcée dans les circonstances prévues par la loi ne fait pas obstacle à l'exercice du droit, dont dispose le prévenu en vertu de l'article 148-1 du code de procédure pénale, de demander sa mise en liberté ; que n'est donc pas méconnu l'article 66 de la Constitution ;
7. Considérant, en troisième lieu, que le tribunal correctionnel a la faculté d'écarter l'exécution immédiate de la peine d'emprisonnement qu'il a prononcée ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire manque en fait ; que l'obligation qui est faite au tribunal de motiver sa décision de ne pas délivrer mandat de dépôt ne se heurte à aucune exigence constitutionnelle ;
8. Considérant, enfin, que les dispositions critiquées ne sont pas excessives au regard, d'une part, de la gravité des délits en cause, d'autre part, de la circonstance aggravante que constitue la récidive ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'article 7 de la loi déférée n'est pas contraire à la Constitution ;
Sur le placement sous surveillance électronique mobile :
10. Considérant que l'article 13 de la loi déférée insère dans le code de procédure pénale des dispositions instituant un régime de « surveillance judiciaire » qui permet, à leur libération, de soumettre des condamnés présentant un risque élevé de récidive à diverses obligations, notamment le placement sous surveillance électronique mobile ; que l'article 42 prévoit l'application de la surveillance judiciaire aux personnes condamnées à une peine privative de liberté pour des faits commis antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi et dont le risque de récidive est constaté après celle-ci ; que le quatrième alinéa de l'article 41 permet le placement sous surveillance électronique mobile, dans le cadre de la surveillance judiciaire, de personnes condamnées à une peine privative de liberté, assortie d'un suivi socio-judiciaire, pour des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi ;
11. Considérant que les requérants soutiennent que le placement sous surveillance électronique mobile constitue une peine ou une sanction ; qu'ils en déduisent que le législateur ne pouvait prévoir son application immédiate sans méconnaître le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions résultant de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ;
12. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; qu'il s'ensuit que le principe de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère ne s'applique qu'aux peines et aux sanctions ayant le caractère d'une punition ;
13. Considérant, en premier lieu, que la surveillance judiciaire est limitée à la durée des réductions de peine dont bénéficie le condamné ; qu'elle constitue ainsi une modalité d'exécution de la peine qui a été prononcée par la juridiction de jugement ;
14. Considérant, en second lieu, que la surveillance judiciaire, y compris lorsqu'elle comprend un placement sous surveillance électronique mobile, est ordonnée par la juridiction de l'application des peines ; qu'elle repose non sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité ; qu'elle a pour seul but de prévenir la récidive ; qu'ainsi, la surveillance judiciaire ne constitue ni une peine ni une sanction ;
15. Considérant, dès lors, que le législateur a pu, sans méconnaître l'article 8 de la Déclaration de 1789, prévoir son application à des personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi ;
16. Considérant, toutefois, que, bien que dépourvu de caractère punitif, le placement sous surveillance électronique mobile ordonné au titre de la surveillance judiciaire doit respecter le principe, résultant des articles 4 et 9 de la Déclaration de 1789, selon lequel la liberté de la personne ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire ;
17. Considérant, en premier lieu, que ce placement a pour objet de prévenir une récidive dont le risque est élevé ; qu'il tend ainsi à garantir l'ordre public et la sécurité des personnes, qui sont nécessaires à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle ;
18. Considérant, en deuxième lieu, que le placement sous surveillance électronique mobile permet de déterminer, à chaque instant, la localisation des personnes concernées et de vérifier qu'elles respectent les interdictions auxquelles elles sont soumises ; qu'il n'a vocation à s'appliquer qu'à des personnes condamnées à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à dix ans, pour certaines infractions strictement définies et caractérisées par leur gravité particulière, tels les crimes de viol, d'homicide volontaire ou d'actes de torture ou de barbarie ; que les contraintes qu'il entraîne ne présentent pas un caractère intolérable et sont en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur ;
19. Considérant, en troisième lieu, que le risque de récidive doit être constaté par une expertise médicale faisant apparaître la dangerosité du condamné ; que la décision du juge de l'application des peines qui prononce la surveillance judiciaire est rendue, conformément à l'article 712-6 du code de procédure pénale, après débat contradictoire au cours duquel l'assistance d'un avocat est obligatoire ; que, lorsque la surveillance judiciaire est envisagée à l'égard d'une personne condamnée pour des faits commis antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, elle devra être décidée par le tribunal de l'application des peines qui, si l'intéressé le demande, devra ordonner une contre-expertise sur sa dangerosité ;
20. Considérant, enfin, que le placement sous surveillance électronique mobile ne peut être mis en oeuvre qu'avec le consentement du condamné ;
21. Considérant que l'ensemble des précautions ainsi prises par le législateur suffit à garantir qu'aucune rigueur non nécessaire ne sera imposée aux personnes concernées ;
22. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution,
Décide :
Article 1
Les articles 7, 13, 41 et 42 de la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales ne sont pas contraires à la Constitution.Article 2
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 décembre 2005, où siégeaient : M. Pierre Mazeaud, président, MM. Jean-Claude Colliard, Olivier Dutheillet de Lamothe et Valéry Giscard d'Estaing, Mme Jacqueline de Guillenchmidt, MM. Pierre Joxe et Jean-Louis Pezant, Mme Dominique Schnapper, M. Pierre Steinmetz et Mme Simone Veil.
Le président,
Pierre Mazeaud